Je fais souvent ce rêve,
étrange et pénétrant,
d'une femme inconnue et que j'aime,
et qui m'aime,
et qui n'est chaque fois ni tout à fait la même,
ni tout à fait une autre,
et m'aime,
et me comprend.
C'est bien la pire peine
de ne savoir pourquoi,
sans amour et sans haine,
mon cœur a tant
de peine.
Ah ! les oaristices,
les premières maîtresses,
l'or des cheveux,
l'azur des yeux,
la fleur
des chairs,
et puis,
parmi l'odeur des corps jeunes et chers,
la spontanéité craintive
des caresses !
Elle était déchaussée,
elle était décoiffée,
assise,
les pieds nus parmi les jambes enchants.
Moi, qui passais par là,
je crus voir une fée,
et je lui dis « Veux-tu t'en venir dans les champs ?
»
Elle me regarda de ce regard suprême qui
reste à la beauté quand nous en triomphons,
et je lui dis
« Veux-tu,
c'est le mois où on s'aime,
veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?
»
Demain,
dès l'aube,
à l'heure où blanchit la campagne,
je partirai.
Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt,
j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
ni les voiles au loin descendant vers Arfleur,
et quand j'arriverai,
je mettrai sur ta tombe
un bouquet de houx verts et de brouillères
en fleurs.
Je suis le caillou d'or et de feu que Dieu jette.
Je suis la poésie ardente.